- DIFFÉRENCIATION CELLULAIRE - Cytodifférenciation animale
- DIFFÉRENCIATION CELLULAIRE - Cytodifférenciation animaleLes toutes premières cellules de l’embryon sont équivalentes et totipotentielles, c’est-à-dire que chacune d’entre elles a la potentialité de donner naissance à tous les tissus différenciés de l’adulte. On admet que leur différenciation se produira en une succession d’étapes correspondant à des restrictions de plus en plus importantes de leurs potentialités. Quand les cellules n’ont plus qu’une destinée possible, on dit qu’elles sont déterminées. Le concept de détermination est toutefois distinct de celui de différenciation: une cellule déterminée n’est pas encore spécialisée, et un certain nombre d’événements de différenciation devront se produire pour qu’elle exprime tous les caractères correspondant à son potentiel.Chez certains organismes, la détermination se produit lors des premières divisions suivant la fécondation. Dans ce cas, on dit que l’œuf est « mosaïque ». Dans d’autres espèces, plusieurs divisions sont nécessaires avant que le destin d’une cellule ne soit fixé. Dans ce cas, on dit que l’œuf est « à régulation »: en effet, si les cellules de l’embryon sont séparées puis rassemblées au hasard ou si certaines cellules sont éliminées, le développement de l’embryon n’en sera pas affecté. Des vrais jumeaux ne peuvent être observés que dans les espèces où les œufs sont « à régulation », puisqu’ils se développent à partir de cellules provenant du même zygote. La terminologie « mosaïque-régulation » n’est applicable qu’aux stades très précoces puisqu’un embryon à régulation devient mosaïque dès que des déterminations se produisent. Cependant, parmi ces cellules, quelques-unes seulement (les cellules germinales) participeront à l’élaboration des individus de la génération suivante, les autres cellules (cellules somatiques) constituent l’être vivant qui est habituellement décrit pour définir l’espèce.Dans le règne animal, la différenciation cellulaire est bien souvent irréversible; les mécanismes régulateurs s’exerçant au niveau des gènes doivent rendre compte de cette particularité et ne peuvent, en tout cas, fonctionner selon le modèle gouvernant l’expression des fonctions métaboliques chez les Bactéries (Jacob et Monod, 1961). Toutefois, on sait que l’irréversibilité de la différenciation n’est pas due à une perte de matériel génétique. Des expériences spectaculaires de Gurdon réalisées chez les Batraciens (1968) ont démontré que la greffe du noyau d’une cellule différenciée dans un oocyte dont le noyau a été préalablement détruit pouvait aboutir à un développement embryonnaire normal. Tout se passe donc comme si les gènes inactivés de manière apparemment irréversible dans la cellule différenciée pouvaient être réactivés par le cytoplasme de l’œuf. Le cas des animaux inférieurs, chez lesquels réjuvénation et bourgeonnement sont fréquents, semble bien confirmer une telle interprétation.L’étude des mécanismes régulant la différenciation des cellules est très difficile à réaliser lorsque, comme c’est le cas chez les Mammifères, le développement normal de l’embryon a lieu dans l’utérus. L’étude des stades précoces présente une difficulté supplémentaire en raison de la toute petite taille de l’embryon (quelques cellules seulement) comme le montre la figure 1 dans le cas de la souris. Grâce au parti que l’on a su tirer de l’existence de tumeurs embryonnaires spontanées, les tératocarcinomes, ces difficultés ont pu être, dans une certaine mesure, contournées. Le tératocarcinome de la souris (Stevens, 1967; Pierce, 1967) constitue certainement le meilleur système modèle permettant l’étude des stades précoces du développement embryonnaire des Vertébrés (Martin, 1975; Jacob, 1978; Condamine, 1980).1. Le tératocarcinomeHistoire naturelle du tératocarcinomeLes tératocarcinomes sont des tumeurs très particulières du testicule ou de l’ovaire: contrairement à la plupart des tumeurs, elles sont constituées de plusieurs tissus différents (fig. 2). On y trouve pêle-mêle: os, cartilage, muscle, tissu nerveux, épiderme, dents. Bref, ces tumeurs ressemblent à des embryons désorganisés et monstrueux, d’où leur nom (du grec « teraton », qui signifie monstre). La différenciation s’est produite de façon apparemment normale (on reconnaît les types cellulaires), mais la morphogenèse est inexistante ou rudimentaire. Les tératocarcinomes sont constitués de deux espèces de tissus: des tissus différenciés – composante tératome – et des cellules indifférenciées – composante carcinome embryonnaire. Les tissus différenciés sont semblables à ceux d’un embryon normal; ils sont incapables de former des tumeurs après injection à un autre animal. En revanche, les cellules indifférenciées sont responsables du caractère malin des tératocarcinomes. L’injection d’une seule d’entre elles à un animal peut provoquer l’apparition de tératocarcinomes multidifférenciés. Ces cellules indifférenciées sont donc multipotentielles, tout comme les cellules souches primitives de l’embryon.Si on injecte des cellules de carcinome embryonnaire dans la cavité péritonéale d’un animal de même génotype, on provoque la formation d’une tumeur ascitique. Le liquide d’ascite contient des agrégats de cellules présentant une organisation particulière. Après section et examen microscopique, on peut observer que ces agrégats sont constitués d’un corps central de cellules de carcinome embryonnaire entouré d’une couronne de cellules ayant les caractéristiques ultrastructurales d’un feuillet de l’embryon, l’endoderme. En raison de ces ressemblances avec le jeune embryon de souris (comparer fig. 1 et 2), ces agrégats ont été appelés corps embryonnaires .Des lignées de carcinome embryonnaire ont été établies et cultivées in vitro à partir de cellules indifférenciées de tumeurs ou de corps embryonnaires. Elles sont capables de se multiplier indéfiniment sans perdre leur caractère malin et multipotentiel. Certaines de ces lignées sont même capables de se différencier in vitro . Elles représentent donc un matériel d’étude exceptionnel. Avant de décrire quelques expériences spectaculaires réalisées avec ces lignées, il est nécessaire de rappeler ce qui est connu de l’origine des tératocarcinomes.Origine des tératocarcinomes: relations du carcinome embryonnaire avec l’embryon et les tératocarcinomes spontanésDeux souches consanguines de souris (129 et LT) sont porteuses de tératocarcinomes spontanés avec une très haute fréquence: 1 p. 100 des mâles de la lignée 129 ont une tumeur testiculaire; 50 p. 100 des femelles de la lignée LT ont un tératome ovarien. Le déterminisme génétique de cette prédisposition est inconnu. L’incidence des tumeurs dans la lignée 129 est aussi élevée chez les fœtus que chez les adultes; dès le quinzième jour de la vie embryonnaire, on peut repérer de petites tumeurs dans les testicules embryonnaires. Stevens (1964) démontra que ces tumeurs avaient pour origine les cellules germinales primordiales de l’embryon, et que l’événement critique déclenchant la tumorigenèse devait se passer vers le douzième jour: en greffant les crêtes génitales (précurseurs des testicules) d’embryons de douze et treize jours dans un receveur adulte, il obtint 82 p. 100 de tératocarcinomes. Ces tumeurs contenaient en moyenne dix foyers tératocarcinomateux. Le nombre de cellules germinales de l’embryon de douze jours étant d’environ 1 000, on peut estimer à 1 p. 100 la fréquence de transformation d’une cellule germinale en cellule tumorale.La greffe d’embryons précocesUne autre manière d’obtenir des tératocarcinomes consiste à greffer des embryons de trois à sept jours en des sites extra-utérins immunologiquement protégés. La greffe d’embryons plus âgés ne provoque plus de tumeurs (sauf aux douzième et treizième jours en greffant les crêtes génitales). Il est important de rapprocher ce fait de l’observation suivante: il existe encore des cellules multipotentielles (et peut-être totipotentielles) dans un embryon de sept jours (il s’agit des cellules de l’ectoderme embryonnaire), mais au stade huit jours l’ectoderme embryonnaire s’est différencié en ectoderme proprement dit et en mésoderme. On peut discuter, dans ce contexte, le cas des tératomes ovariens spontanés de la souche LT. En effet, ces tératocarcinomes sont conceptuellement analogues à ceux obtenus par la greffe d’embryons. La raison en est la suivante: la caractéristique majeure de la souche LT est la haute fréquence d’activation spontanée de ses oocytes, ce qui aboutit au développement de nombreux embryons parthénogénétiques. Ces anomalies constituent donc des expériences naturelles de greffe d’embryons dans des sites ectopiques.La culture d’embryons in vitroJusqu’à très récemment, il était impossible d’obtenir des tératocarcinomes par culture d’embryons in vitro . En 1982, deux groupes ont réussi, indépendamment, à obtenir des lignées de carcinome embryonnaire en cultivant des masses cellulaires internes isolées à partir de blastocystes (Evans et Kaufman, 1982; Martin, 1981). Ces lignées sont capables de se différencier in vitro ; de plus, elles forment des tératocarcinomes après injection à un animal adulte. Ces expériences démontrent directement qu’il existe une profonde analogie entre les cellules multipotentielles de l’embryon et les cellules de carcinome embryonnaire, à tel point qu’on peut se demander si une cellule embryonnaire multipotentielle placée en dehors de son environnement normal n’acquiert pas ipso facto des caractéristiques tumorigènes. Toutefois, il est impossible d’écarter la possibilité que, pour devenir tératocarcinomateuse, une cellule embryonnaire multipotentielle doive subir une ou plusieurs mutations, d’autant que la fréquence avec laquelle une cellule de la masse cellulaire interne donne naissance à un clone de cellules de carcinome embryonnaire est relativement faible.En conclusion, les tératocarcinomes peuvent avoir soit une origine germinale (tératomes testiculaires ou ovariens spontanés, greffe de cellules germinales mâles de douze jours), soit une origine somatique (greffe de cellules d’ectoderme embryonnaire de six jours, culture in vivo d’embryons).Colonisation de l’embryon par les cellules de carcinome embryonnaire. « Normalisation » et différenciation de ces cellulesSi les cellules de carcinome embryonnaire sont effectivement équivalentes à des cellules embryonnaires précoces, elles doivent se comporter comme ces dernières dans un environnement embryonnaire normal. Des expériences spectaculaires réalisées indépendamment dans trois laboratoires différents (Brinster, 1974; Mintz et Illmensee, 1975; Papaioannou et al., 1975) ont permis de vérifier cette hypothèse.Si on injecte, à l’aide d’un micromanipulateur, une cellule de carcinome embryonnaire à l’intérieur d’un blastocyste (embryon très jeune) et que l’on greffe ce dernier dans l’utérus d’une souris convenablement préparée par un traitement hormonal, le développement embryonnaire se poursuit; mieux encore, dans un certain nombre de cas, on obtient des chimères, c’est-à-dire des animaux dont les tissus contiennent non seulement des cellules ayant les génotypes parentaux mais aussi des cellules ayant le génotype des cellules de carcinome embryonnaire injectées (fig. 3).Ces tissus chimériques sont apparemment normaux, c’est-à-dire différenciés et non tumoraux. Dans une expérience décrite par Mintz et Illmensee (1975), il a même été possible d’obtenir une chimère germinale: des animaux homozygotes pour des marqueurs caractéristiques du carcinome embryonnaire utilisé ont été obtenus par croisements de types 1 et 2.Ces expériences d’injection dans le blastocyste permettent de tirer plusieurs conclusions:– la cellule de carcinome embryonnaire injectée semble être effectivement totipotentielle in vivo ;– cette cellule semble avoir perdu son caractère tumoral puisque les animaux chimériques ne portent pas de tumeurs; on dit que son caractère tumoral a été normalisé;– il est possible d’étudier in vivo l’effet d’une mutation sélectionnée in vitro en fabriquant des souris chimériques au moyen d’injection de cellules de carcinome embryonnaire mutantes dans des blastocystes.Peut-on maintenant répondre à la question posée à la fin du paragraphe précédent: une cellule de carcinome embryonnaire dérive-t-elle d’une cellule embryonnaire par un processus épigénétique ou mutationnel? Les expériences de « normalisation » que nous venons de décrire pourraient être interprétées en disant que les cellules de carcinome embryonnaire ne sont pas porteuses de mutation, puisque, dans un environnement normal, leur descendance est normale. Toutefois, cette interprétation est sujette à caution: en effet, la mutation hypothétique responsable du caractère malin pourrait ne pas s’exprimer dans la descendance de la cellule injectée, à cause de la mise en route d’un programme de différenciation au cours duquel le gène responsable ne s’exprimerait plus.La figure 4 résume les transitions mises en évidence entre cellules embryonnaires et cellules de carcinome embryonnaire.Étude de la différenciation cellulaire à l’aide du tératocarcinomeLes expériences d’injection dans le blastocyste décrites dans le chapitre précédent montrent bien que les cellules de carcinome embryonnaire sont très proches des cellules embryonnaires indifférenciées. Il a donc semblé légitime d’utiliser des lignées de carcinome embryonnaire pour étudier in vitro certains aspects des étapes précoces de la différenciation des Mammifères. Dans des conditions de culture appropriées, certaines lignées de carcinome embryonnaire sont capables de former in vitro des tissus différenciés. On voit apparaître, dans les boîtes de culture, des plages de cellules de tous les types (endodermiques, nerveuses, musculaires, fibroblastiques, etc.), à partir desquelles des lignées plus ou moins différenciées ont été obtenues. De cette manière, on peut obtenir une grande quantité des tissus ressemblant aux tissus embryonnaires précoces, et effectuer des travaux biochimiques qu’il aurait été difficile de mener à bien à l’aide d’embryons. On a pu ainsi étudier l’apparition de nouvelles protéines de membrane, l’évolution de la susceptibilité aux virus, l’expression de gènes spécifiques, etc., au cours d’une étape précoce de différenciation. Toutefois, l’avantage essentiel du système du tératocarcinome réside dans son caractère multipotentiel. Ce système permet, tout au moins en principe, d’analyser les mécanismes grâce auxquels les cellules choisissent leur destinée (nerveuse, musculaire, érythrocytaire, etc.): en bref, la détermination . Les systèmes de différenciation terminale (qui seront décrits dans les chapitres suivants) permettent d’étudier la spécialisation cellulaire, mais non pas la détermination. En effet, un érythroblaste, un myoblaste, un neuroblaste n’ont qu’une route possible: devenir un globule rouge, une cellule musculaire, un neurone.Les exemples suivants donneront un aperçu de l’intérêt du système tératocarcinome dans l’analyse des mécanismes impliqués dans la différenciation précoce de l’embryon.Apparition de molécules spécifiques au cours de la différenciation du tératocarcinome et de l’embryonUne lignée de trophoblastome (tumeur placentaire) dérivée du tératocarcinome a été utilisée pour immuniser des souris, et a permis d’obtenir des anticorps monoclonaux spécifiques du trophectoderme (ébauche embryonnaire du placenta) (fig. 5). Ces anticorps ne réagissent ni avec les cellules de carcinome embryonnaire ni avec les cellules indifférenciées de l’embryon. On dispose ainsi d’un marqueur spécifique de la différenciation du trophectoderme. On a pu démontrer que ces anticorps reconnaissent des filaments de kératine synthétisés lors de l’apparition du trophectoderme. Le RNA messager correspondant à cette protéine a été isolé et cloné sous forme de cDNA. Cette sonde moléculaire est actuellement utilisée pour étudier l’expression du gène correspondant pendant la différenciation du trophectoderme.Étude de la première différenciation de l’embryon: rôle de la position et des contacts intercellulairesLe premier choix de différenciation qui se pose à l’œuf fécondé se situe lors du passage de la morula (8 - 16 cellules) au blastocyste. De nombreuses expériences indiquent que ce choix dépend de la position qu’une cellule donnée occupait au stade morula: les cellules internes donneront naissance à l’embryon proprement dit et les cellules externes au trophectoderme. On peut démontrer que les signaux responsables de cette régulation dépendent d’interactions entre les cellules de la morula. Leur nature biochimique est encore inconnue. Néanmoins, des modifications profondes des contacts entre les cellules se produisent dans la morula âgée, peu de temps avant l’apparition de la cavité blastocoelique. Ce phénomène, appelé « compaction de la morula », est caractérisé par l’apparition de jonctions spécialisées créant une barrière de perméabilité entre l’extérieur et l’intérieur de la morula, et permettant le passage de métabolites entre les cellules. Grâce au système tératocarcinome, on a pu identifier certaines des molécules jouant un rôle dans cette compaction. À l’aide d’anticorps empêchant la compaction (fig. 6), une protéine, l’uvomoruline, a été purifiée à partir de grandes quantités de cellules de carcinome embryonnaire. Des anticorps monoclonaux dirigés contre la protéine purifiée ont été obtenus, et ont permis d’étudier sur l’embryon même la distribution et le devenir de l’uvomoruline au cours de la différenciation.Étude du rôle de l’environnement extracellulaire dans la différenciationLa notion de « normalisation » du caractère tumoral et embryonnaire décrite dans la première partie implique que les tissus de l’embryon sont capables de modifier le devenir d’une cellule de carcinome embryonnaire injectée. Il est même vraisemblable que les signaux responsables de la « normalisation » perçus par la cellule de carcinome embryonnaire soient effectivement les signaux responsables de la différenciation et de la morphogenèse des cellules embryonnaires normales. Il est donc tentant d’utiliser les cellules de carcinome embryonnaire pour étudier l’effet des inducteurs (tels l’acide rétinoïque), des hormones, et des contacts cellulaires sur la différenciation in vitro .La figure 7 montre que la destinée des cellules de carcinome embryonnaire dépend étroitement de la composition du milieu en facteurs et hormones. La lignée représentée reste indifférenciée (cellules lisses) en présence de facteurs sériques, mais elle forme des cellules nerveuses (cellules ramifiées) dans un milieu de composition hormonale définie.Relation entre différenciation et malignitéEnfin, le système par tératocarcinome permet d’étudier les rapports existant entre différenciation et malignité. Nous avons vu plus haut que la différenciation des cellules de carcinome embryonnaire aboutissait in vivo ou in vitro à la perte de la malignité. Dans les autres tumeurs, il semble aussi exister un rapport inverse entre la malignité et le degré de différenciation. Le cancer pourrait donc être considéré comme une maladie de la différenciation . En outre, le tératocarcinome a permis d’étudier le rapport existant entre la tumorigénicité des cellules et la résistance de l’hôte. Par exemple, on a pu obtenir par mutagenèse des variants de carcinome embryonnaire devenus incapables de donner des tumeurs sauf dans des hôtes préalablement irradiés (ce qui affaiblit leurs défenses immunitaires). Les tumeurs ainsi formées sont multidifférenciées, la modification du pouvoir tumorigène n’a donc pas altéré la multipotentialité de ces cellules.En conclusion, le tératocarcinome de la souris constitue un modèle sans pareil pour l’étude des relations existant entre la différenciation, la morphogenèse et la malignité. De surcroît, il permet d’étudier les étapes les plus précoces du développement et, ainsi, de poser en termes moléculaires les questions concernant la détermination. En particulier, l’hypothèse selon laquelle la position d’une cellule détermine son devenir implique l’existence de différences chimiques entre les cellules situées à l’intérieur et à l’extérieur de la morula et l’existence de récepteurs capables de détecter ces différences et de communiquer l’information aux gènes.2. La neurogenèseLe système nerveux central d’un vertébré adulte est un ensemble complexe de cellules hautement différenciées, les neurones, connectées entre elles par de multiples circuits indépendants, isolés et protégés par les cellules de la névroglie. L’étude ontogénétique de ce système contribue, d’une part, à expliquer certaines interactions dont la complexité chez l’adulte défie l’analyse, d’autre part, révèle les contributions complémentaires du programme génétique et de l’environnement dans l’élaboration d’une structure définitive, relativement rigide, caractérisée chez l’adulte par une capacité de régénération très limitée, susceptible seulement d’appauvrissement au cours de la sénescence.L’ensemble du tissu nerveux dérive du tube neural [cf. EMBRYOLOGIE ANIMALE] formé par l’invagination de l’ectoderme. À partir de ce tube neural vont se différencier deux types de cellules, les neurones et la névroglie. Les neurones, éléments nobles du système nerveux, sont responsables du transport et du traitement de l’information (cf. système NERVEUX). Les cellules de la névroglie jouent des rôles variés de nutrition, de soutien et d’isolement des neurones. Le système nerveux d’un vertébré adulte résulte d’un certain nombre de transformations programmées du tube neural: la multiplication cellulaire, la migration, la croissance des prolongements neuronaux (axone et dendrites), la synaptogenèse. Chacune de ces étapes contribue à la formation des réseaux neuronaux dont l’architecture spécifique est le support des activités nerveuses; simultanément, la différenciation des cellules de la névroglie va contribuer à l’établissement des propriétés spécifiques des circuits neuronaux.Histogenèse dans le système nerveux centralNeuronogenèseLa multiplication des précurseurs, les neuroblastes, a été étudiée essentiellement grâce à la radioautographie. Cette technique permet, au moyen d’un traceur radioactif – en l’occurrence la thymidine incorporée lors des synthèses d’acide désoxyribonucléique ou ADN –, de marquer des cellules en divisions, et de suivre leur destinée (fig. 8 dr. et g.). On a ainsi constaté que les cellules se divisent au voisinage de la lumière du tube neural (futurs ventricules cérébraux) puis migrent radialement pour constituer les diverses structures du cerveau adulte (cortex cérébral, noyaux gris centraux, etc.). Chez les Mammifères, la multiplication des neuroblastes a lieu essentiellement avant la naissance, mais certaines régions font exception à cette règle: le cervelet, l’hippocampe, le bulbe olfactif, toutes trois caractérisées par une population de petits neurones dont la multiplication est essentiellement postnatale. Ainsi, chez les Mammifères, cette phase initiale de la neuronogenèse est peu accessible à des influences extérieures, car l’organisme maternel exerce une défense efficace contre la plupart des agressions. Toutefois, certaines agressions peuvent provenir de l’organisme maternel lui-même, et il faut citer, parmi les plus fréquentes et les plus accessibles à la prévention dans l’espèce humaine, le tabagisme, l’alcoolisme et l’hypertension. Il faut aussi penser que les structures à maturation tardive sont très sensibles à toutes sortes d’agressions au cours du premier âge, dont la dénutrition et l’exposition aux radiations sont les plus dangereuses, car elles conduisent à une réduction définitive du nombre des neurones.La migration cellulaire qui suit la dernière division a pu être étudiée grâce à la radio-autographie. Après une injection de thymidine, les animaux d’expériences sont sacrifiés à des intervalles progressifs, et on peut ainsi établir une cartographie des cellules ayant été marquées à un âge donné, et ayant migré pendant l’intervalle. On a ainsi constaté que les différentes couches du cortex cérébral se forment successivement, en commençant par les plus profondes, et que les neuroblastes migrent à travers les couches déjà formées pour venir s’entasser à la surface, sous les enveloppes méningées. L’étude des mécanismes internes de la migration cellulaire a largement bénéficié des techniques de culture de tissu nerveux qui permettent l’observation, directement sous le microscope, de fragments de tissus vivants, et, grâce à la microcinématographie image par image, la reconstitution du mouvement en accéléré; on a ainsi constaté que la migration avait lieu grâce à des phases successives de contraction et d’élongation de la cellule, pendant lesquelles le noyau sphérique ou ovoïde devient fusiforme, puis se replie sur lui-même pour devenir sphérique. Le rôle des microtubules (cf. système NERVEUX) paraît capital dans ce mouvement. L’étude en culture de tissu, comparée avec la migration in situ , a montré que les cellules se déplaçaient comme des trains de wagonnets sur des axes privilégiés (fig. 9). Ces axes privilégiés sont constitués de fibres gliales radiaires, les astrocytes (cf. système NERVEUX - Le tissu nerveux) et des axones des cellules qui les ont précédées. Dans le cortex cérébral, cette migration est, nous l’avons vu, centrifuge; elle est au contraire centripète pour les petits neurones granulaires du cortex cérébelleux, dont la couche proliférative est située sous l’enveloppe méningée; dans tous les cas, cette migration se produit de la même façon, les fibres radiales constituant des axes de moindre résistance pour la migration.Si le mécanisme de la migration neuronale commence à être bien connu maintenant, la nature du signal responsable de cette migration est encore largement hypothétique. L’existence de gradients chimiques d’attraction ou de répulsion n’a pas pu encore être définitivement prouvée, pas plus que celle de champs magnétiques ou électriques. Lorsque le neuroblaste a terminé sa migration et parfois même au cours de cette migration intervient le troisième élément de la neuronogenèse, la croissance des prolongements, axones et dendrites, dont l’architecture, absolument caractéristique d’un type de neurone, va conditionner sa connectivité, c’est-à-dire la localisation et le nombre des contacts synaptiques qui vont le lier aux neurones voisins.La croissance de ces prolongements va avoir lieu par l’intermédiaire de structures très particulières, les cônes de croissance, dont les techniques de culture de tissu ont permis d’étudier le fonctionnement. Ces cônes de croissance, situés à l’extrémité des prolongements, sont constitués d’une varicosité bulbeuse, hérissée de multiples prolongements très fins, ou filopodes, animés d’un mouvement constant qui a pu être reconstitué par la microcinématographie image par image. La microscopie électronique, par balayage (fig. 9), et la microscopie électronique, par transmission, ont permis de préciser la forme et la structure interne des cônes de croissance. La varicosité du cône de croissance contient des mitochondries, fournissant l’énergie, et des amas de structures membraneuses, tubulaires ou sphériques, qui, élaborées dans le corps cellulaire (ou péricaryon), ont migré le long du prolongement grâce au flux axonal (ou dendritique) et sont incorporées dans la membrane plasmique au niveau du cône de croissance, permettant ainsi l’élongation de l’axone (ou de la dendrite). Les filopodia présentent une structure fibrillaire, constituée essentiellement d’actine, protéine contractile responsable des mouvements rapides d’extension et de rétraction. Au niveau du cône de croissance ont lieu également des phénomènes d’endocytose, c’est-à-dire d’internalisation de substances, figurées ou non, présentes dans le milieu extérieur.Mais les cônes de croissance ne jouent pas simplement un rôle mécanique dans l’élongation axonale et dendritique. Des indices convergents ont montré récemment qu’ils jouent un rôle déterminant dans les processus de reconnaissance cellulaire, préalables à la synaptogenèse, dernière étape, et la plus spécifique, de la neuronogenèse.En effet, on a constaté d’une part que les premières synapses apparaissant sur un neurone donné se forment au voisinage immédiat des cônes de croissance, et, d’autre part, qu’un contact durable entre un axone et une cellule, ou un axone et une dendrite, est précédé par une « palpation » intense par les filopodia du cône de croissance (fig. 9). On a pensé tout naturellement que les membranes plasmiques des cônes de croissance devaient présenter des caractéristiques particulières, substrat morphologique des phénomènes de reconnaissance préludant à la synaptogenèse. La technique de cryofracture, qui permet d’étudier la structure interne des membranes (fig. 12), a donné des résultats très surprenants, dans la mesure où elle a montré l’absence presque totale de particules protéiques dans les membranes des cônes de croissance. On a ainsi été amené à penser que les mécanismes de reconnaissance n’ont pas lieu dans les membranes, mais plutôt sur les membranes, au niveau du manteau cellulaire constitué de glycoprotéines élaborées par l’appareil de Golgi [cf. CYTOLOGIE]. Au niveau du manteau cellulaire des cônes de croissance, les glycoprotéines constituent une mosaïque dont les éléments sont identifiables.Après la phase de reconnaissance, la synaptogenèse proprement dite se manifeste morphologiquement, à l’échelle de la microscopie électronique, par l’apparition d’un épaississement membranaire postsynaptique, qui pourrait correspondre au récepteur du neuromédiateur (fig. 10; cf. SYNAPSES). Au niveau de la structure membranaire, telle qu’on peut la voir en cryofracture, cette densification se traduit par l’agglomération de particules intramembranaires adhérentes au feuillet externe de la membrane. Très rapidement apparaissent du côté présynaptique des vésicules très caractéristiques de 40 nanomètres de diamètre, contenant le médiateur et de petites projections denses de la membrane (fig. 10), réalisant la « grille présynaptique ». La densification de la fente synaptique se manifeste au même moment, la maturation ultérieure de la synapse se traduira par l’augmentation du nombre de vésicules dans l’axone présynaptique.L’établissement des synapses se fait-il au hasard, ou répond-il à des critères de spécificité stricts? Une série d’expériences utilisant la culture de tissu, des mutations neurologiques chez la souris, et des manipulations du système visuel chez le chat, le lapin et le singe, apportent un début de réponse. Dans l’environnement très modifié d’une chambre de culture de tissu, un fragment de cervelet de rat nouveau-né va, en moins de trois semaines, acquérir les principaux types de synapses se formant normalement in situ . Toutefois, en l’absence de certains éléments du circuit (neurones ou axones extrinsèques au cervelet), des synapses « aberrantes » vont se former, entre des éléments qui ne sont pas normalement connectés in vivo . De la même façon, au niveau des voies visuelles, l’élevage de l’animal à l’obscurité n’empêchera pas les principales connexions de s’établir, mais l’absence de fonction empêchera la consolidation de certains circuits, et se traduira par un déficit définitif. Il semble bien exister une affinité sélective entre les deux éléments constituant normalement une synapse, mais cette affinité n’est pas absolue, l’absence d’un des éléments (présynaptique ou postsynaptique) entraînant la formation d’un contact aberrant, se traduisant sur un plan fonctionnel par des anomalies neurologiques complexes, parfois léthales à brève échéance.Le « câblage » des circuits neuronaux apparaît ainsi gouverné par un strict déterminisme génétique, agissant à tous les stades de la neuronogenèse, depuis la multiplication et la migration cellulaire, puis avec la croissance des prolongements et l’établissement des synapses. Toutefois, l’influence de l’environnement se manifeste en dehors des agressions éventuelles que nous avons évoquées plus haut – et cela a été particulièrement étudié pour les voies visuelles – au niveau le plus élevé de l’organisation, qui va moduler quantitativement et qualitativement le câblage de base. Quantitativement, par résorption d’un certain nombre de synapses en surnombre (on sait en effet qu’il existe une certaine redondance lors de la phase initiale de l’établissement des circuits), et qualitativement, par la spécialisation de la fonction de certains neurones à potentialités initialement multiples.GliogenèseLes cellules de la névroglie contribuent, nous l’avons dit, à l’histogenèse du système nerveux. Il existe trois grands types de cellules névrogliques dans le système nerveux central: l’astrocyte, l’oligodendrocyte et la microglie (cf. système NERVEUX).La genèse des astrocytes (c’est-à-dire la date de leur derniére division) se situe avant et après la naissance, comme l’a montré la radioautographie après incorporation de thymidine tritiée. Très tôt, les fibres radiales astrocytaires servent de guides à la migration des neuroblastes; par ailleurs, peu à peu, les prolongements des astrocytes vont contribuer à isoler le tissu nerveux du reste de l’organisme. Au niveau des enveloppes méningées (fig. 11), les astrocytes vont constituer une barrière continue par la juxtaposition de leurs prolongements. De la même manière, tout autour des vaisseaux vont se constituer des manchons par la juxtaposition de « pieds suceurs ». La microscopie électronique nous montre que ces prolongements astrocytaires sont tout d’abord unis par des « plaques d’attache », zones d’adhésion mécanique.Plus tard, ces plaques d’attache sont remplacées par des gap junctions qui permettent la circulation des ions et des petites molécules entre deux cellules; en microscopie électronique, ces jonctions sont caractérisées par une oblitération presque complète de l’espace extracellulaire (2,5 nm au lieu de 15 nm) et, en cryofracture (fig. 12), par des structures en forme de nid d’abeilles, complémentaires sur les deux membranes (fig. 11). Au centre de chaque particule, un minuscule orifice permet la communication entre les deux cellules. Ainsi se trouve réalisée une sorte de syncitium, participant à l’équilibre ionique au voisinage des neurones. D’autres structures, contribuent aux échanges liquidiens et ioniques du système nerveux mais on ignore encore de quelle manière. La cryofracture a montré au niveau des membranes astrocytaires situées au contact des vaisseaux et des méninges des assemblages géométriques de très petites particules, qui apparaissent en grand nombre au niveau de ces membranes au moment où la « barrière astrocytaire » devient continue (fig. 11).Les oligodendrocytes se différencient tardivement dans le système nerveux central, essentiellement après la naissance chez les Mammifères (pendant le premier mois postnatal chez le rat, et la première année chez l’homme). Il s’agit là d’un achèvement de la neurogenèse, l’isolement de l’axone par un manchon de myéline permettant la propagation plus rapide de l’influx nerveux. Après la dernière division, l’oligodendrocyte émet de nombreux prolongements, dont chacun va venir s’enrouler autour d’un axone (fig. 13). Dès le premier tour de l’enroulement, une fusion intervient par places entre les feuillets externes de la membrane de l’oligodendrocyte. Cet accolement et cette fusion vont constituer la ligne intrapériodique de la myéline. Quand l’enroulement aura formé trois ou quatre tours, constituant la myéline lâche, les feuillets internes de l’oligodendrocyte vont s’accoler à leur tour, expulsant le cytoplasme et constituant la ligne dense majeure de la myéline (fig. 13).Un prolongement oligodendrocytaire va ainsi myéliniser un segment d’axone, dit segment internodal; aux deux extrémités de ce segment, appelées nœuds de Ranvier, la ligne dense majeure se dissocie pour laisser la place à une languette cytoplasmique. Ces languettes sont scellées entre elles comme les tours de la gaine myélinique, et elles sont également scellées à l’axone. La myéline n’est pas une structure inerte; chaque segment internodal reste uni à l’oligodendrocyte, et un renouvellement lent mais continu de ses constituants a lieu tout au long de la vie.Certains constituants de la myéline sont également fournis par l’axone. Ainsi, l’oligodendrocyte et l’axone qu’il myélinise constituent une unité métabolique. La destruction expérimentale d’un faisceau axonal, chez un animal nouveau-né, avant la myélinisation, prévient la multiplication et la maturation des oligodendrocytes. Cette même destruction chez un animal adulte entraîne la désintégration de la myéline et la mort des oligodendrocytes. À l’inverse, une destruction sélective de la myéline, et des oligodendrocytes, telle qu’elle est réalisée dans la sclérose en plaques, entraîne progressivement la destruction des axones dénudés et la formation d’une cicatrice astrocytaire, qui vient combler le vide ainsi créé.Il existe un troisième type de cellule gliale, la microglie, qui joue le rôle de macrophage dans le système nerveux central. Ces cellules, qui se déplacent par un mouvement amœboïde, sont capables de digérer des débris cellulaires et même des cellules entières en voie de destruction. Elles constituent la voirie du tissu nerveux. Leur origine est encore controversée, certains auteurs les faisant dériver exclusivement des monocytes du sang, d’autres soutenant une origine neuro-épithéliale. On s’oriente de plus en plus vers une origine mixte, des destructions importantes du tissu nerveux entraînant l’extravasation des monocytes du sang, tandis que des atteintes minimes ne mobiliseraient que les éléments endogènes, d’origine neuro-épithéliale.Histogenèse dans le système nerveux autonomeL’innervation viscérale est assurée par le système nerveux autonome, composé du sympathique et du parasympathique, dont les neurones sont situés dans des chaînes ganglionnaires paravertébrales pour le sympathique, dans les ganglions situés près de l’organe innervé pour le parasympathique. Ces deux systèmes sont fonctionnellement antagonistes au niveau d’un organe donné: ainsi le sympathique accélère le cœur, le parasympathique le ralentit. Cette spécificité d’action est de nature neurochimique: le médiateur du sympathique est la noradrénaline, celui du parasympathique est l’acétylcholine.Au cours de l’ontogenèse du système nerveux dans une phase très précoce, celle de la fermeture du tube neural, deux formations vont s’individualiser de part et d’autre du tube, les crêtes neurales , qui vont se fractionner et migrer pour donner naissance aux ganglions autonomes. Certains de ces ganglions deviendront sympathiques, d’autres parasympathiques, suivant leur position. Au niveau cervical, les crêtes neurales donneront naissance à des ganglions parasympathiques, et en particulier au ganglion ciliaire, et, aux niveaux dorsal et lombaire, à des ganglions sympathiques et à la médullosurrénale. La question s’est très rapidement posée de savoir ce qui déterminait la différenciation de ces neurones: leur position initiale, l’itinéraire de leur migration, ou leur position finale? Deux approches expérimentales ont été utilisées. Dans la première, N. Le Douarin et ses collaborateurs, en France, ont utilisé des greffes entre l’embryon de caille et l’embryon de poulet. Les cellules nerveuses de ces deux espèces diffèrent par la condensation de la chromatine de leur noyau, ce qui permet de les reconnaître par une coloration histologique banale. N. Le Douarin a greffé des crêtes neurales de caille, prélevées au niveau céphalique, donc donnant normalement naissance à des neurones parasympathiques, sur un poulet, au niveau lombaire. Elle a constaté au bout de quelques jours que ces neurones étaient devenus adrénergiques, c’est-à-dire qu’ils avaient adopté l’identité du lieu de la greffe, et non de son origine; réciproquement, des crêtes neurales lombaires greffées au niveau céphalique donnent naissance à des neurones parasympathiques, cholinergiques.Par ailleurs, deux équipes américaines, celles de P. Patterson et de R. Bunge, ont mis en culture des neurones ganglionnaires isolés à partir du ganglion cervical supérieur, qui appartient au sympathique, et ont constaté que, suivant l’environnement de la culture (présence de cellules gliales ou cardiaques, milieu conditionné), ces cellules peuvent devenir adrénergiques ou cholinergiques.Ainsi, il apparaît clairement que, au moins dans le système nerveux autonome, la différenciation des neurones est tardive et relativement labile, et dépend finalement de la cible du neurone plus que de son origine au niveau céphalique ou lombaire de l’embryon. Bien des questions se posent encore quant au guidage de ces migrations cellulaires et à leur mécanisme. La conjonction des techniques de greffe et de culture est susceptible de faire progresser ces questions.3. La myogenèseLa fibre musculaire squelettique est une cellule plurinucléée [cf. MUSCLES] qui est produite à la suite de la fusion entre elles de cellules mononucléées précurseurs ou myoblastes. Ce phénomène de fusion peut être reproduit in vitro dans un système de culture de tissu, ce qui offre l’avantage de permettre une analyse biochimique simplifiée. C’est ce processus que nous nous proposons de décrire tant au plan de la physiologie qu’en ce qui concerne les connaissances actuelles des mécanismes contrôlant l’expression des gènes impliqués dans la différenciation musculaire.On peut considérer la myogenèse in vitro comme une succession de trois phases d’activité cellulaire: une phase de prolifération, une phase de fusion et une phase de cytodifférenciation.Prolifération des myoblastesLes myoblastes sont obtenus à partir des muscles isolés soit d’embryons soit d’animaux nouveau-nés. À ces stades de développement, les muscles ne sont que partiellement différenciés et sont donc formés de nombreuses cellules précurseurs. Quand on dissocie de tels muscles, on détruit la plupart des fibres musculaires organisées en ne laissant subsister essentiellement que les cellules mononucléées que l’on va pouvoir ensemencer sur un support solide. Dans ces conditions, on obtient une monocouche constituée par une population hétérogène de cellules mononucléées. La plupart de ces cellules ont une morphologie fusiforme, ce sont les myoblastes; les autres ont un aspect plus aplati et représentent les fibroblastes (fig. 14 A). Ces cellules vont alors proliférer pendant une période qui dépend de l’origine des myoblastes. Dans tous les cas, cette période de prolifération est suivie par une phase de fusion qui se traduit par l’apparition des cellules plurinucléées ou myotubes qui sont l’équivalent des fibres musculaires (fig. 14 B). Ce phénomène de fusion s’accompagne de l’arrêt de la croissance des cellules. L’étude des relations entre le cycle cellulaire et la formation des myotubes a montré que la fusion des myoblastes se produit au cours de la phase G1 du cycle cellulaire (il s’agit de la période comprise entre la mitose et la phase de synthèse de l’ADN ou phase S).Qui plus est, l’hypothèse selon laquelle c’est au cours de cette même phase G1 qu’interviendrait un signal commandant aux cellules de se différencier est devenue un axe de recherches très actif.Phénomène de fusion et formation des myotubesNous l’avons vu, lorsque les myoblastes s’échappent du cycle de multiplication, ils se reconnaissent entre eux, s’organisent les uns par rapport aux autres, s’alignent et finissent par fusionner pour donner naissance aux myotubes.Quelle est la spécificité de ce phénomène de reconnaissance ? D’une certaine manière, elle est extrême, puisque les myoblastes ne se reconnaissent qu’entre eux et qu’il n’y a jamais fusion d’un myoblaste avec aucune autre cellule, fût-elle une cellule provenant d’un autre type de muscle, muscle cardiaque ou muscle lisse par exemple. En revanche, pour ce qui est de l’origine des myoblastes, il semble qu’il n’y ait aucune spécificité, puisque des myoblastes d’origine aviaire peuvent fusionner avec des myoblastes de Mammifère.Quel est le support de cette reconnaissance? En fait, quelques auteurs se sont représenté le phénomène de reconnaissance entre myoblastes comme l’équivalent d’un phénomène d’agrégation, et ont alors postulé l’existence d’une substance qui serait fabriquée par les cellules musculaires et qui reconnaîtrait un « motif particulier » présent sur les mêmes cellules, provoquant ainsi leur accolement. L’isolement d’une telle substance n’a pas encore été démontré de manière convaincante. On a également cherché à répondre à cette question en essayant de trouver des substances capables de perturber le phénomène de fusion. On peut classer ces substances en trois grandes familles: celles qui interfèrent avec le métabolisme du calcium, celles qui provoquent des perturbations au niveau de la membrane et, enfin, celles qui altèrent des structures internes impliquées dans l’organisation structurale des cellules.Le mode d’action de cette dernière classe est totalement incompris, et le chef de file de ces substances est la cytochalasine qui provoque une réorganisation des filaments intermédiaires [cf. CELLULE].Pour ce qui est de la première classe, on sait depuis longtemps que le calcium est un élément essentiel des fusions membranaires de quelque type qu’elles soient. Ainsi, si on enlève le calcium du milieu ou si on bloque sa pénétration, les cellules ne pourront plus fusionner entre elles.Quant à la deuxième classe, elle est constituée par des molécules très diverses comme les anesthésiques locaux, la lysolécithine, la phospholipace C ou certains types d’acides gras. Dans tous les cas, on peut imaginer qu’elles interviennent soit en venant s’incorporer à la membrane (anesthésiques locaux, acides gras...), soit en agissant sur des constituants de la membrane (phospholipace C) et, de ce fait, perturbent la structure de la membrane, la rendant inapte à fusionner.Expression biochimique du programme myogéniqueParallèlement à la formation des myotubes, on note la synthèse de toutes une série de protéines dont les fonctions sont extrêmement variées mais qui ont pour caractéristiques de n’être présentes que dans les fibres musculaires. Certaines d’entre elles sont des éléments constitutifs de l’appareil contractile et se retrouvent au niveau du sarcomère [cf. MUSCLES]: c’est le cas de molécules comme l’actine, la myosine, la tropomyosine, les troponines, la desmine. D’autres sont impliquées dans le métabolisme du muscle comme la créatine phosphokinase (CPK) ou la pyruvate kinase (PK). Enfin, certaines sont des éléments membranaires comme le récepteur de l’acétylcholine ou l’acétylcholinestérase. L’ensemble de ces protéines constitue ce que l’on peut appeler le programme myogénique. À ce sujet, il faut bien réaliser que les fonctions remplies par ces différentes protéines ne sont pas exclusives du muscle, mais qu’elles existent également dans tous les types cellulaires. Toutefois, dans la cellule non musculaire, ces fonctions sont prises en charge par des protéines très voisines des protéines musculaires, qui représentent des formes isomorphes de ces dernières. Par exemple, la myosine existe dans tous les types cellulaires, mais la myosine présente dans le muscle squelettique est une protéine différente, codée par des gènes différents, de la myosine présente dans le muscle cardiaque, le muscle lisse ou un tissu non musculaire. Qui plus est, parmi les muscles squelettiques, on distingue des muscles rapides et des muscles lents; dans chacun d’entre eux la myosine est présente sous une forme isomorphe différente. L’ensemble de ces formes isomorphes constitue ce qu’on appelle à l’heure actuelle une famille multigénique. Compte tenu de ce que nous venons de dire, il est facile de se rendre compte que l’analyse des protéines synthétisées par les myotubes a longtemps souffert de cette complexité, et il a fallu attendre l’existence de techniques analytiques très performantes pour pouvoir obtenir une clarification des résultats obtenus.Compte tenu de la simultanéité existant entre l’apparition des myotubes et la détection des protéines musculaires, certains auteurs ont émis l’hypothèse que la fusion des myoblastes pourrait représenter un signal déclenchant l’expression du programme myogénique. En fait, on sait maintenant qu’il n’en est rien et qu’il s’agit de deux événements indépendants.Comment se fait la régulation de l’expression du programme myogénique? On s’est longtemps posé la question de savoir si le contrôle de la synthèse des protéines musculaires se fait à un niveau transcriptionnel ou post-transcriptionnel. En d’autres termes, les ARN messagers codant pour les différentes protéines sont-ils présents exclusivement dans les cellules myogéniques différenciées, ou sont-ils également présents dans les myoblastes en cours de multiplication? L’utilisation des techniques d’ingénierie génétique a permis de montrer que les myoblastes ne contiennent pas les ARN messagers musculaires. Actuellement, un consensus se dégage pour admettre que la régulation se fait initialement à un niveau transcriptionnel, sans qu’on puisse rejeter l’intervention de phénomènes de régulation post-transcriptionnels qui, d’une manière tardive, contrôleraient quantitativement la production des diverses protéines musculaires.En définitive, on peut se représenter la différenciation terminale du myoblaste selon le schéma suivant:– dans un « premier compartiment » se trouve le myoblaste réplicatif; c’est une cellule mononucléée qui parcourt les différentes phases du cycle cellulaire et qui se trouve confrontée à une alternative: soit continuer à se multiplier, soit s’engager dans une nouvelle voie qui va la conduire dans un deuxième compartiment où elle deviendra un myoblaste différencié;– le passage dans le « deuxième compartiment » se produit au cours de la phase G1 du cycle cellulaire, et cette décision va se traduire au niveau du génome de la cellule par le recrutement de toute une série de gènes correspondant aux différentes protéines musculaires; il est tentant d’imaginer que certaines d’entre elles vont venir s’intégrer à la membrane pour lui conférer des propriétés nouvelles qui vont se traduire par une possibilité de reconnaissance des cellules entre elles, entraînant dans une phase ultime la fusion des membranes cellulaires et la formation des myotubes.
Encyclopédie Universelle. 2012.